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dimanche 19 mars 2017

« Apprendre, enseigner en lycée professionnel : pratiques, dispositifs et contenus »
Présentation
- Spirale 59 (2017)

Sommaire

Si à la fin des années quatre-vingt, Caspard (1989) avait pu déclarer que l’enseignement professionnel était un « chantier déserté » par la recherche, Tanguy (2000) pouvait néanmoins souligner une décennie plus tard combien les recherches sur ce domaine s’étaient multipliées depuis lors. Constat que les observations de Feyfant (2006) ne semblent pas démentir puisque la voie professionnelle est l’une des plus fréquentes thématiques des thèses de sociologie de l’éducation enregistrées entre 2003 et 2005. Plus récemment, l’activité éditoriale montre également une certaine vitalité sur ces questions avec les publications des Actes du colloque consacré aux Trente ans du Bac pro (Maillard, 2016), le livre de Troger, Bernard et Masy (2016), l’ouvrage de Jellab (2014) pour ne prendre que quelques exemples significatifs.
Une recension des travaux menés (Sido, 2006) a permis de montrer que les principaux axes de recherche développés concernant cette filière adoptent plutôt de larges focales d’investigation sur les plans temporels ou structurels, qu’il s’agisse de reconstruire l’histoire de l’enseignement professionnel (e.g. Lembré, 2016) de ses diplômes et certifications (e.g. Brucy, 1998 ; Brucy, Maillard & Moreau, 2013) ou celle de son organisation et de ses programmes (e.g. Lopez, 2015 ; Sido, 2011a), d’analyser les relations formation-emploi (e.g. Paul & Rose, 2008), d’étudier la place des filières professionnelles et de ses acteurs dans le fonctionnement hiérarchisé du système scolaire (e.g. Palheta, 2012). D’autres investigations explorent plus spécifiquement les fonctionnements caractéristiques des terrains d’enseignement professionnel en étudiant les rapports aux savoirs (Charlot, 1999) et de genre des élèves qui les fréquentent (Depoilly, 2014), en décrivant les enjeux liés à l’exercice du métier et à ses mutations dans ces établissements (Coste, 2015 ; Marcel, 2014) ou en analysant les pratiques pédagogiques des enseignants aux prises avec les formes spécifiques de rapport aux études des lycéens d’établissements professionnels (Jellab, 2005).
La question des savoirs et contenus d’apprentissage en lycées professionnels semble par contre avoir été plus rarement abordée par les recherches, particulièrement didactiques, qui s’intéressent centralement pourtant à la construction des contenus d’enseignement et d’apprentissage. Ainsi, pour le français, Callone (2005) montre que les travaux concernant les enjeux de cet enseignement, à l’école primaire, au collège ou encore au lycée général abondent mais qu’ils sont plus rares pour la voie professionnelle. De même les principaux travaux qui s’intéressent aux spécificités de la discipline français dans le secondaire professionnel (les numéros 37 et 96 de la revue Le français aujourd’hui pour les filières techniques ; Ropé, 1991) ont plus de vingt ans ; notons toutefois une résurgence de recherches sur cette discipline, qu’il s’agisse des particularités du métier d’enseignant de français en lycée professionnel (Lopez, 2010) ou de l’enseignement de la littérature et de la lecture dans ces établissements (Belhadjin, 2009 ; Belhadjin et al., 2012). Pour les sciences et les mathématiques, Martinand (1985), Caillot (2002), Straβer (2008) et Sido (2011b) soulignent que les chercheurs universitaires en didactique des sciences ont peu exploré l’enseignement professionnel. Néanmoins, la question de l’inscription de certaines de ces matières dans les cursus professionnels et de leurs contributions possibles à ces formations a pu être étudiée, par exemple Bessot et al. (2000) pour les mathématiques, tandis qu’Auxire, Biagioli et Lozi (2014) s’intéressent au traitement d’un contenu mathématique singulier (les vecteurs) dans trois disciplines différentes de la filière productique.
En outre, il semble que les recherches sur les processus d’enseignement et d’apprentissage dans le secondaire professionnel se caractérisent par leurs visées praxéologiques. En didactique des mathématiques, Sido (2011b) montre ainsi que les travaux menés, principalement par les Instituts de Recherches sur l’Enseignement des Mathématiques (IREM), portent sur l’élaboration de nouvelles méthodes d’enseignement et d’apprentissage pensées en fonction de spécificités et difficultés (plus ou moins interrogées) des élèves concernés. Il s’agit donc surtout de recherches qui trouvent leur origine dans des préoccupations professionnelles et sont orientées vers une appropriation des connaissances et plus récemment sur l’opérationnalité des programmes de maths-sciences (Jouin, 2000 ; Szczygielski, 2008). Cette perspective praxéologique se retrouve aussi dans des travaux rendant compte du fonctionnement d’enseignement et d’apprentissage de contenus particuliers dans ces filières : par exemple l’algèbre avec Grugeon (1995) ou la lecture de graphiques en mathématiques (Bessot et al., 1993), ou, plus récemment, l’argumentation dans les cours de français, d’histoire, de géographie et d’éducation civique par des chercheurs de différentes didactiques (Considère & Liénard, 2013 ; Delcambre & Luczak, 2014).
Une trentaine d’années après la création du baccalauréat professionnel, ce numéro de Spirale se propose donc de mettre en avant des recherches qui « (r)entrent » dans des lycées professionnels, dans leurs classes et ateliers, des recherches qui observent et analysent des enseignants et/ou des élèves au travail, au prise avec des savoirs à apprendre, des savoir-faire à enseigner, des connaissances à évaluer, des compétences à acquérir, etc.

Ce numéro composé de dix articles est organisé en deux grandes parties.
La première veut interroger quelques spécificités de la voie professionnelle, plus particulièrement le public qui la fréquente et la nature et la référentialité des savoirs qui y sont enseignés.
Cette partie est structurée en deux sections. La première, intitulée Les élèves des filières professionnelles : des lycéens singuliers ?, questionne à travers trois articles ce qui est parfois considéré comme un allant de soi particulier des publics de la voie professionnelle : élèves démotivés, décrocheurs, en rupture avec les exigences certificatives de l’école. Loin de naturaliser ces catégories les auteurs les réinterrogent sous l’angle des effets qu’elles produisent à la fois sur les pratiques, les enseignants mais aussi la recherche.
Le premier article de cette section, écrit par Caroline Desombre, Michaël Bailleul, Carole Baeza et Célénie Brasselet, s’attache, dans une perspective psychologique, à éclairer la question de la motivation des élèves de lycée professionnel. Nombreux sont en effet les discours théoriques, mais aussi sociétaux et professionnels qui tendent à affirmer que ces lycéens seraient caractérisés par une motivation faible pour une scolarité bien souvent non choisie. À travers une analyse des réponses à un questionnaire, les auteurs décrivent tout d’abord les niveaux de motivation d’élèves de Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) en les comparant à ceux d’élèves de filière générale. Les résultats obtenus tendent à confirmer l’existence d’un degré motivationnel plus réduit des élèves de lycée professionnel. Mais en comparant ces résultats avec une estimation par des enseignants de lycée professionnel de la motivation des élèves, les auteurs constatent que cette motivation plus réduite se double d’une surestimation des besoins motivationnels de leurs élèves par les enseignants. Or ce résultat est d’autant plus important que cette perception semble générer des approches pédagogiques parfois défavorables aux apprentissages. C’est ce que permet de montrer l’analyse d’un corpus de mémoire professionnel d’enseignants en formation. En ce sens, l’article pourrait mettre en lumière le paradoxe suivant : en s’emparant des problèmes motivationnels dans leur classe, les enseignants seraient susceptibles de les accentuer et/ou de limiter les apprentissages des élèves…
De leur côté, Éric Flavier, Joël Gaillard et Sandoss Ben Abid-Zarrouk, interrogent les particularités du processus de décrochage scolaire des élèves en lycée professionnel en présentant les résultats d’une recherche portant sur les effets d’un dispositif visant à prévenir ce risque. En s’appuyant sur une enquête de terrain menée au cours d’une année scolaire, qui a permis de croiser des données d’observations en classe et d’entretiens avec les élèves et les enseignants ainsi que des données quantitatives recueillies auprès de la direction de l’établissement, les auteurs montrent la complexité des phénomènes rassemblés sous la notion de décrochage. Au-delà des apports tangibles du dispositif sur la persévérance scolaire des élèves, l’article éclaire notamment l’importance des risques de « décrochage de l’intérieur », moins manifestes, qui touchent des élèves qui n’ont pas quitté les classes mais qui semblent désintéressés, distants ou particulièrement passifs durant les activités pédagogiques. Les auteurs décrivent alors la manière dont les enseignants observés s’attachent à soutenir ces élèves, à tenter de favoriser leur engagement ou leur réussite, y compris en adaptant certaines prescriptions institutionnelles. Au regard du poids de ces efforts, l’article questionne alors de manière particulièrement intéressante le risque de décrochage professionnel des enseignants qu’une telle prise en charge des élèves décrochés de l’intérieur pourrait entrainer.
Enfin, à travers un retour critique sur une enquête par questionnaires menée auprès d’élèves de la voie professionnelle concernant notamment la certification, l’article de Claire Lemêtre et Sophie Orange met en évidence non seulement le désajustement méthodologique des catégories dominantes utilisées par les concepteurs d’enquête pour ces répondants mais surtout ce que ce désajustement dit des spécificités du rapport à la certification de ces élèves. Ainsi, en interrogeant les modalités de questionnement et de réponses des élèves, les auteurs éclairent des conceptions des diplômes et des parcours qui renvoient à des rationalités propres de la certification en filière professionnelle. L’article décrit ainsi la grande importance accordée au diplôme par ces publics mais aussi des modes d’appréhension de la certification dans une logique additionnelle (les diplômes sont conçus comme s’ajoutant et le dernier obtenu ne remplace pas les précédents) et pas toujours ascensionnelle (nombre d’élèves envisagent de préparer un CAP après un baccalauréat). Le plus haut niveau de diplôme obtenu étant généralement utilisé dans les enquêtes (notamment nationales) pour caractériser les parcours scolaires des enquêtés, les analyses des auteurs invitent alors à questionner, outre la qualité de l’information ainsi recueillie, la reconstruction disqualifiante de la scolarité de ces élèves (et des classes populaires) favorisée par une telle approche, et à envisager un abord méthodologique et théorique différent des parcours et diplômes qui permettrait de l’éviter.

La seconde section de la première partie, Les contenus d’enseignement : références et construction des savoirs, rassemble deux articles qui interrogent quant à eux les spécificités des contenus de la voie professionnelle. S’intéressant respectivement aux contenus à enseigner puis enseignés, ils ouvrent une discussion sur le processus de transposition didactique à l’œuvre dans cette filière et posent plus globalement la question de la multi-référentialité de la culture dans la voie professionnelle et ce faisant de la nature de cette dernière.
Le premier article de Johann Günther Egginger questionne le traitement didactique d’un savoir savant non encore stabilisé, la maladie d’Alzheimer, dans la filière professionnelle et plus précisément dans le baccalauréat professionnel Accompagnement soins et service à la personne. Plus spécifiquement, l’auteur interroge la manière dont les référentiels et les manuels de deux disciplines (Biologie et microbiologie appliquées et Sciences médico-sociales) intègrent les dimensions historiques, épistémiques, scientifiques, sociales et sociétales de cette pathologie au regard des enjeux de formation professionnelle liés à l’accompagnement des malades. En analysant le processus de transposition didactique externe, l’auteur pose la question d’une double référence pour les savoirs à enseigner sur la maladie d’Alzheimer : sont-ils issus de la transformation d’un savoir savant et/ou d’un savoir professionnel de référence ? D’un côté, la simplification du modèle scientifique de référence rend difficile pour les élèves de participer à la « construction » d’une science qui se fait, de l’autre côté, cette simplification permet néanmoins l’acquisition par ces derniers d’une certaine culture scientifique relative aux maladies neurodégénératives en générale et à cette maladie en particulier. L’article pose ainsi la question de la place laissée dans l’enseignement prescrit et potentiel à une culture scientifique « désintéressée » dans une formation dont la mission est la transmission d’une culture technique professionnelle et par là même contribue à éclairer les processus de transposition à l’œuvre dans la filière professionnelle.
Un autre éclairage sur la référentialité des savoirs nous est donné par l’article de Laurent Fauré, Cécile Gardiès et Jean-François Marcel. Les auteurs questionnent ici le processus de transposition didactique interne dans la filière professionnelle agricole, filière dont l’organisation disciplinaire des contenus à enseigner autour de problématiques marque l’originalité. À cette fin, les auteurs analysent les savoirs à enseigner et les découpages disciplinaires de deux disciplines (Information documentation et Sciences et techniques des agroéquipements) à partir, d’une part, des référentiels de formation et, d’autre part, en mobilisant une démarche méthodologique qualitative fondée sur une analyse de l’épistémologie scolaire et professionnelle des enseignants, de préparations de séances pédagogiques effectuées en binôme. Les résultats montrent que les référentiels sont traversés par une dialectique entre savoirs pour le travail et savoirs académiques et renvoient implicitement la question de la référentialité des contenus aux enseignants. Pour ces derniers, confrontés alors aux savoirs multiples au sein de ces disciplines scolaires, le partage des savoirs de référence est source de tensions. Pour les auteurs, celles-ci tiendraient à l’écart entre la figure du professionnel suggérée par les référentiels et celle réellement visée par les enseignants. Les auteurs reposent ainsi dans cet article, de façon différente que l’article précédent, la question de l’articulation, et des tensions suggérées, entre une culture technique et une culture plus générale, détachée de tout contexte productif, dans une formation à vocation professionnelle.

C’est à l’exploration des façons d’enseigner et apprendre en lycée professionnel que génère ce type de formation qu’est consacrée la seconde partie de ce numéro.
Deux sections différentes la composent : l’une, comprenant trois articles, s’intéresse à l’analyse de dispositifs et situations d’enseignement propres aux filières professionnelles. Qu’ils s’agissent d’enseignements technologiques (microbiologie en production laitière) ou de matières générales (français, mathématiques) les travaux montrent en quoi le contexte des classes et ateliers construit un cadre spécifique qui oriente les possibles du travail des enseignants et des élèves, fournit des ressources et requiert une certaine inventivité face aux difficultés.
Dans un premier article, Claire Masson, Laurent Veillard et Paul Orly questionnent le processus de transposition didactique interne à l’œuvre lors de la préparation d’une séquence d’enseignement dans un lycée professionnel agricole. L’approche d’inspiration ethnographique mobilisée vise plus précisément à identifier et caractériser le système de contraintes et d’opportunités (particularité des ateliers associant formation et production commerciale, spécificité des contenus, multiplicité des acteurs et des pratiques) qui interviennent dans les choix didactiques relatifs au passage du savoir à enseigner au savoir apprêté. Cette recherche à caractère exploratoire, issue d’une thèse en cours, montre l’impact des caractéristiques organisationnelles, spatiales, techniques et temporelles particulières aux établissements de la filière agricole. De plus, les auteurs mettent au jour une intrication de finalités et de pratiques scolaires et professionnelles, suggérée à la fois par les références multiples des savoirs à enseigner ainsi que la variété des acteurs, professionnels et enseignants, dans la conception et la mise en œuvre de la séquence. Cet article pose ainsi la question non pas d’un mais de plusieurs processus de transposition interne s’inscrivant dans des logiques relevant d’enjeux formatifs et productifs.
L’article de Marie-Laure Elalouf, « Examen d’un dispositif mobilisant le déjà-là d’apprentis scripteurs en baccalauréat professionnel » présente de son côté une démarche de recherche-action en didactique du français qui explore le fonctionnement de dispositifs d’écriture accompagnée qui utilisent comme leviers les pratiques extrascolaires de ces élèves. Ces derniers, généralement scripteurs réticents, semblent en effet plus habituellement orientés vers des pratiques d’écriture et de lecture sur écran que sur papier. Partant, l’article montre l’intérêt possible de croiser des formes variables de soutien à une écriture collaborative sur traitement de texte selon que l’enseignant délègue aux élèves le commentaire de leurs textes et un dispositif de relecture accompagnée fondé sur des demandes d’explicitation et de reformulation par l’enseignant. S’appuyant sur une connaissance fine des pratiques d’écriture de ces élèves et des apports théoriques, mais aussi sur une temporalité de recherche relativement longue, l’article permet d’entrevoir des stratégies pour soutenir ces élèves dans leurs apprentissages à produire des textes fonctionnels. Dans cette perspective, l’auteur propose de construire des approches favorisant la convocation par ces scripteurs de leurs ressources tant scolaires qu’extrascolaires, sans les cloisonner, tout en encourageant les enseignants à adopter une posture de « lecteur dialoguant » avec leur classe, sans minorer les contraintes organisationnelles ou temporelles qui pèsent sur l’enseignement général en lycée professionnel.
Magali Hersant et Anne-Claire Quiniou interrogent quant à elles les conditions nécessaires à l’activité mathématique d’élèves de lycée professionnel. En partant du constat établi par différents travaux de sociologie, d’un relatif désintérêt de ces élèves pour les disciplines générales, expliqué par leurs difficultés scolaires antérieures et leur préférence pour les disciplines professionnelles, les auteurs élaborent deux situations mathématiques au sein desquelles elles mesurent l’activité mathématique et l’engagement des élèves. Ces derniers sont ainsi amenés à résoudre en groupe deux problèmes contextualisés, susceptibles de présenter un intérêt ou une utilité, ouverts, sans questions intermédiaires afin de rompre avec une forme scolaire qu’ils rejettent souvent, et permettant des moments adidactiques, via un processus de dévolution, afin de laisser aux élèves une responsabilité importante dans la résolution. L’analyse du cheminement des élèves dans le problème, de la façon dont ils l’explorent et le délimite, identifient des sous problèmes et des procédures de résolution permet de saisir la consistance et la nature de l’activité mathématique qu’ils déploient. L’article montre alors que les élèves investissent les situations proposées, ces dernières suscitant même un effet d’enrôlement. Loin d’être déroutés ou rebutés par l’absence de « balisage » pour résoudre les problèmes, les élèves apprécient l’autonomie et la responsabilité qui leur sont laissées. Selon les auteurs, ce résultat singulier, aux regards du profil des élèves qui ont fait l’expérience de la difficulté scolaire, pourrait être suscité par la forme de travail proposée, proche de celle des ateliers. Au-delà de donner des pistes pour la mise en place de séances de mathématiques en lycée professionnel suscitant une activité mathématique, les auteurs posent la question des effets différenciés que pourraient avoir enrôlement et dévolution sur les apprentissages des élèves.

La seconde section de cette seconde partie veut interroger des pratiques et professionnalités d’enseignants de la voie professionnelle. À travers deux articles, cette section offre une description de configurations d’activités d’enseignants et d’élèves observables dans ces filières au regard d’une prise en charge de contenus d’apprentissage spécifiques, l’un en histoire et l’autre en mathématiques dans le cadre de la productique usinage. Mais ces travaux permettent surtout de montrer en quoi les rapports particuliers entre contenus et acteurs que construisent ces pratiques d’enseignants entrent plus largement en relation avec leur conception du métier et de leur professionnalité.
Le premier article de cette section, « Enseigner la Shoah en lycée professionnel : risques et défis », signé de Patricia Drahi, aborde les approches didacti¬ques et pédagogiques de professeurs d’histoire lorsqu’ils traitent des contenus d’enseignement qui constituent de véritables questions sensibles ou vives. En s’appuyant sur une enquête par entretiens, l’auteur cerne ainsi les stratégies et ressources que ces enseignants décrivent pour tenter de résoudre certaines difficultés qui naissent des questions, débats ou prises de position que suscitent ces enseignements chez les élèves, mais aussi comme le montre l’article, chez certains enseignants. Pour autant, l’article montre que dans des terrains d’enseignement socialement comparables, l’expérience de l’enseignement de la Shoah des professeurs de lycée professionnel interrogés est proche de celle de leurs collègues de la voie générale (que ce soit au lycée ou au collège), même si les situations de rupture rencontrées semblent plus fréquentes. La spécificité, montre l’article, est peut-être à chercher dans le fait que les enseignants de lycée professionnel semblent plus particulièrement déclarer leur attachement à construire la finalité éducative des situations d’enseignement sur la Shoah comme l’éducation à la tolérance, à la citoyenneté voire pour valoriser leurs élèves. Plus généralement, l’auteur s’interroge sur le fait que les pratiques d’enseignement de la Shoah dans la filière professionnelle constituent, par les défis et exigences qu’elles supposent, une forme de « miroir de la professionnalité des enseignants du secondaire ».
C’est cette professionnalité enseignante, que Nathalie Auxire interroge finement dans le second article qui compose cette section. Elle y examine le cas de professeurs de discipline professionnelle aux prises avec un enseignement de discipline générale qu’ils doivent assurer. Plus spécifiquement, elle questionne le rôle qu’a la prise en charge d’un enseignement informel de mathématique, pour des élèves en difficulté dans cette matière, et centré sur l’acquisition d’outils nécessaires au domaine productique usinage, dans la construction de l’identité professionnelle d’enseignant (i.p.e.) de technologie. La contribution de ce problème professionnel à l’i.p.e., vue comme un comme phénomène d’interprétation de soi-même dans un contexte professionnel donné, est étudiée au travers d’une analyse des stéréotypes, des éthos et des schémas de discours, portant sur des entretiens menés par l’auteur auprès d’enseignants de productique usinage. Nathalie Auxire montre ainsi un positionnement professionnel des enseignants, fondé sur des stéréotypes liés à leur profession et au rôle des mathématiques dans cette discipline technologique, qui leur permet de mener de façon durable et cohérente un enseignement pour lequel ils ne sont pas désignés institutionnellement. Ils s’engagent ainsi pédagogiquement, émotionnellement et intellectuellement dans ce problème professionnel lié aux difficultés des élèves en mathématiques. L’auteur ouvre ainsi des pistes à la fois théoriques et méthodologiques pour questionner les pratiques des professeurs, et leurs variations, lorsqu’ils sont confrontés à certaines injonctions en faveur de l’établissement de liens entre leur enseignement et les autres enseignements dispensés dans la filière.

On le voit donc, ce numéro ne cherche pas à aborder la filière professionnelle dans une perspective de remédiation, perspective que l’on trouve non seulement dans les écrits professionnels mais bien souvent dans les recherches elles-mêmes, et ne cherche donc pas à promouvoir telle ou telle forme pédagogique, telle ou telle technique d’enseignement. Au contraire, l’ensemble des travaux publiés, à travers la diversité des angles d’approches, des objets considérés, des concepts mobilisés et des résultats exposés nous invite à explorer trois pistes de réflexion, suggérées de manière transversale dans ce numéro, qui nous semblent particulièrement fécondes. La première viserait à questionner ou requestionner les pratiques et contenus construits dans des classes de lycée professionnel, et plus globalement les spécificités de cette filière d’enseignement (public, clivage enseignement général/professionnel etc.), et ce faisant à objectiver l’analyse des situations d’enseignement/apprentissage à l’œuvre dans ces établissements. La seconde nous invite dans le fil de l’ensemble des travaux présentés ici à interroger la pertinence de l’extension de cadres problématiques, théoriques et méthodologiques établis pour les filières générales ou technologiques et la propension de cette extension à tenir compte de cette spécificité et de ces caractéristiques de la filière professionnelle. Enfin, ce numéro permet d’engager une troisième piste possible d’interrogation qui consiste à explorer plus finement pour les filières générales et technologiques des problématiques telles que celles liées au décrochage, à la motivation ou encore à l’identité professionnelle des enseignants à la lumière des réflexions et des résultats présentés ici pour la voie professionnelle.

Daniel BART
Xavier SIDO

Université de Lille
Théodile-CIREL

Bibliographie

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Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2017 N° 59 (3-12)