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octobre 1996

BARTHÉLÉMY Annie « Vocabulaire psyhopédagogique : langue de bois ou parole vive ? A propos du conflit sociocognitif » - Spirale 10-11 (1993)

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« Je me demande si le drame - c’est le cas de le dire - de la dissémination des acquis des sciences de l’éducation par l’action pédagogique ne tient pas à ce que ces acquis se prêtent trop aisément à une théâtralisation qui révèle qu’ils étaient eux-mêmes des fruits de la passion ». La notion de conflit socio-cognitif pourrait bien participer de ce drame, au sens où le prend ici Hameline, de mise en scène théâtrale. En effet, ce terme a la cote dans les institutions de formation ; il offre au praticien un label d’innovation quasi-scientifique. Mais cette faveur ne doit pas dissimuler les problèmes que pointe E. Nonnon : « La notion de conflit sociocognitif, développée par Doise, Mugny et A.N. Perret-Clermont, a été bien vulgarisée, souvent citée dans le discours pédagogique depuis cinq ou six ans, et historiquement elle y a joué un rôle important. Mais elle risque, par son succès même, d’être utilisée de façon vague, trop extensive, en perdant son sens initial (“le conflit sociocognitif, c’est quand des enfants discutent ensemble”), soit, si on l’utilise de façon précise, d’être trop restrictive, en focalisant l’attention sur un seul aspect de l’intérêt des discussions ».
Et il ne s’agit pas de réclamer un retour à la « pureté » scientifique du concept mais de définir son usage pratique. En 1978, Bourdieu faisait remarquer à propos de la notion de handicap socioculturel, qui a, elle aussi, connu de belles heures dans le champ pédagogique : « Une des urgences du travail de diffusion des produits de la pratique scientifique, c’est de dire aux gens “Attention ! Des choses qui ont été des conquêtes à un certain moment sont devenues des platitudes, des banalités.” On est en train de les euphémiser, parce que n’importe qui peut se lever et faire un topo super radical sans penser à rien. Une des conditions du travail scientifique et aussi du travail politique, c’est d’essayer de savoir ce qu’on dit quand on parle. Savoir ce qu’on dit quand on parle, c’est savoir que les mots ont une histoire ». Ce qui est bon à dire à un certain moment, ne l’est plus à un autre : le terme de conflit socio-cognitif peut être porteur d’un sens efficace comme il peut devenir un emblème insignifiant qui jette de la poudre aux yeux. L’amnésie historique des mots affadit le propos voire le trahit, l’antidote consiste à les resituer dans leur contexte. Dans le cas de la notion de conflit sociocognitif, l’histoire est double : il y a son trajet dans la théorie psychosociologique du développement intellectuel et son cheminement sur le terrain pédagogique. Il convient donc d’identifier, à chaque fois, qui l’emploie ? à quel moment ? pourquoi ?