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dimanche 14 septembre 2003

Chercher ensemble. Approches didactiques Dias-Chiaruttini A., Cohen-Azria C & Souplet C. (dir.) Bordeaux : PU de Bordeaux (2022)

L’ouvrage codirigé par Anna Dias-Chiaruttini, Cora Cohen-Azria et Catherine Souplet, Chercher ensemble. Approches didactiques est un ouvrage collectif rédigé par des chercheur.es en sciences de l’éducation, didacticien.nes.
L’intention de cet ouvrage est de montrer comment se déploie un chercher ensemble en favorisant des regards empreints d’attention pour ce qui se passe effectivement dans l’interaction. Il s’agit de problématiser cette thématique du chercher ensemble par la multiplication de ces regards et approches afin de cerner la complexité des dispositifs et des activités mais aussi d’étudier les effets sur les sujets dans les trois espaces que sont ceux de la recherche, de la formation et de la classe.
Il fait suite à une réflexion commencée lors d’un colloque Inventions d’espaces de travail, entre chemins individuels et pistes collectives qui s’est tenu en mai 2017 à l’université de Lille et qui rendait hommage aux travaux d’Yves Reuter. Il regroupe des textes réécrits à la suite des communications qui ont été sélectionnées.
Cet ouvrage collectif ne se réfère pas spécifiquement aux courants interactionnistes du co-constructivisme, ni à ceux des mouvements pédagogiques coopératifs. Il déborde largement les seules questions de l’analyse du travail collaboratif entre enseignants et des recherches collaboratives entre enseignants et chercheurs.
L’ouvrage épouse un point de vue pragmatique pour décliner la question de savoir dans quelle mesure, et dans les trois espaces (recherche/formation/classe), il est possible de favoriser, susciter, créer un travail collectif. Cette déclinaison tisse de manière serrée un ensemble de questions qui sont données en ouverture de l’ouvrage et qui associent la question du chercher ensemble à celle du « travailler ensemble ».
Quelles tensions entre les sujets ? Quelle relation entre les dimensions individuelles et collectives du projet ? Quels sont les gains, les freins de la collaboration ? Comment sont négociées des positions inégales entre acteurs ? Comment les espaces de travail sont-ils (re) configurés ou inventés ? En ce sens, cet ouvrage est très imprégné et révélateur des débats les plus actuels qui traversent à la fois les espaces de la recherche, de la formation et de la classe.
L’approche didactique est clairement revendiquée et affichée dès le titre. En effet, les chercheures et chercheurs qui ont contribué à cet ouvrage sont en majorité des didacticiennes et didacticiens. Pour autant le point de vue de la psychanalyse ou encore de la sociologie de l’éducation se trouve également convié afin de confronter ce point de vue didactique avec d’autres champs de la recherche en éducation. Ainsi, hétérogène dans le positionnement des auteurs, l’ouvrage privilégie par sa structuration et ses références une mise en synergie de réflexions plurielles et de points de vue singuliers et collectifs. Au travers de cette judicieuse déclinaison de la façon dont les auteurs nous donnent à voir comment ils observent le travail collectif, cet ouvrage produit une très intéressante mise en lumière des tensions, transformations, et questions qui traversent les différents espaces du chercher ensemble.
Dans une première partie, les auteurs questionnent l’espace de la recherche en le considérant d’emblée comme un espace institutionnellement contraint que le chercheur doit investir. Les sept regards qui éclairent cette partie pointent des échelles très variables de collaboration qui nécessitent de naviguer entre le formel et l’informel, les espaces physiques et virtuels. En ce sens, le travail collectif des chercheurs relève toujours d’une construction, rien n’est donné a priori.
Yves Reuter inspire cette partie avec sa proposition « d’espaces pour respirer ». Ils sont indispensables pour discuter les concepts et les modèles qui à un moment s’imposent comme des solutions à des questionnements. Ces espaces de discussion, en pointant les limites, ont la vertu de réduire le risque de réification ou de dogmatisme de ces modèles.
Anne-Marie Jovenet propose le point de vue de la psychanalyse pour pointer des éléments clés de la recherche sur l’école Freinet conduite ces dernières années au laboratoire Théodile-Cirel à Lille. Cette étude qui cible les moments où « quelque chose émerge » montre en quoi la multiplication des angles d’attaque des chercheurs engagés dans ce projet a permis d’éclairer des formes de cohérence et ouvrir sur des questionnements inédits.
Richard Étienne, quant à lui, questionne le rôle des expérimentations dans les recherches sur les pédagogies dites alternatives. La recherche présentée, conduite par une équipe, avait pour but de produire une évaluation multi critériée et développementale des effets de cette expérimentation dans une classe coopérative de sixième qui a vu ses résultats s’améliorer de manière très significative.
Sylvie Condette est sociologue de l’éducation. Elle enquête selon un autre point de vue sur les apports d’une politique favorisant les expérimentations au sein des établissements scolaires. Dans l’étude qu’elle propose ici (un dispositif de formation à la médiation au regard de problèmes de violence), elle montre que certains enseignants gardent leur distance. Elle en dégage des conditions de réussite de ces dispositifs, notamment l’absence de contraintes, mais aussi l’idée que ces expérimentations ne sont pas des modèles reproductibles en soi, seulement des pistes à explorer. La présence du chercheur conduit les enseignants à chercher ensemble et à inventer un espace qui institue le collectif.
Le travail de Roseline Le Bourgeois et Xavier Leroux relève d’une véritable écriture à quatre mains autour d’un même objet qui est le forum de discussion entre enseignants d’histoire et de géographie. Ce chapitre est une réelle propédeutique du travail de rencontre entre deux chercheurs et contribue clairement à illustrer ce que chercher ensemble veut dire dans cet espace de la recherche.
Le chapitre de Catherine Loisy, Réjane Monod-Ansaldi, Luc Trouche et Aristide Criquet, auquel nous pouvons adjoindre le chapitre de Martine Champagne en partie 3, questionnent les LéA (Lieux d’éducation associés à l’Institut français de l’éducation) com¬me espaces d’institutionnalisation de l’action conjointe au sein des Institutions d’éducation et de recherche. Les auteurs abordent ces espaces de recherche collaborative entre acteurs de statuts différents comme des objets de recherche en soi.
Enfin, pour clore cette première partie, Joël Lebeaume nous invite à pointer les limites et les illusions des recherches soi-disant individuelles. La recherche – même en considérant les directions de thèse et d’habilitation à diriger des recherches – n’est-elle pas toujours collective ? Dans notre domaine où l’image du chercheur solitaire semble encore valorisée, les signatures collectives représentent-elles une valeur ajoutée ? L’auteur identifie les freins et les leviers à ce travail collectif. Si chercher ensemble nécessite du temps, enrichit le dialogue, cela génère des tensions entre enjeux individuels d’identité, de positionnement et intérêt collectif.
La deuxième partie questionne l’espace de la formation dans des contextes différents : celui de l’INSPE (Institut national du professorat et de l’éducation), du CAPE (Centre d’accompagnement des pratiques enseignantes), d’une entreprise de logistique et d’un espace de formation en langue. Ces différentes études tendent à identifier les lieux de formation comme des lieux de tension entre le sujet et la communauté professionnelle. Ces tensions témoignent en fait du processus de professionnalisation à l’œuvre.
Karine Meshoub-Manière ouvre cette partie par une recherche avec des formés qui cible à la fois les représentations des futurs enseignants sur l’écriture mais également sur son enseignement. Un contenu de formation se co-construit dans l’interaction, la possibilité d’une formation des sujets par le travail d’écriture.
Patricia Schneeberger pose la question qui taraude les chercheurs dès lors qu’ils encadrent des séminaires de recherche pour l’accompagnement au mémoire professionnel (ici en SVT second degré), à savoir comment les étudiants actualisent et opérationnalisent les concepts étudiés en formation initiale. Il s’agit à nouveau de l’écriture pour construire des connaissances mais aussi comme tension entre le praticien et le chercheur puisqu’il s’agit ici de formation par la recherche dans ces espaces de séminaire mémoire.
Emilie Perrichon quant à elle interroge également les écrits, mais cette fois-ci en tant qu’écrits collectifs pour les futurs enseignants en langue pour les préparer à co-agir professionnellement et socialement. Elle met ainsi au jour un processus de professionnalisation à partir de ces traces plurielles.
Toujours dans le contexte de l’enseignement des langues, Véronique Lemoine-Bresson et Katrin Kuntz posent la question de savoir comment une forme spécifique d’interculturalité en actes s’inscrit dans le chercher ensemble au sein de la classe en présence de la chercheure. Elle caractérise ainsi l’espace qui se co-construuit entre pédagogie et recherche.
Anne Catherine Oudart et Gilles Leclerc investissent un objet peu souvent étudié en formation, celui du rapport à l’écriture des candidats à la VAE (Validation des acquis d’expérience). Nous pouvons ainsi prendre la mesure du véritable cout cognitif et affectif de ce travail collaboratif entre le sujet et l’équipe d’accompagnement de l’université.
Aurélie Dupré se saisit d’un nouvel enjeu de formation à l’université : la formation du chercheur mais cette fois-ci en tant qu’enseignant. Elle identifie le modèle des communautés de pratiques comme des espaces et modalités d’échanges privilégiés pour ces formations, les formats développés dans les pédagogies dites actives et notamment les travaux de groupe, semblant moins adaptés aux exigences de ce type de formation.
Pour conclure cette partie, les travaux ce Corinne Beaujard et Jean-Paul Valette s’intéressent à de jeunes salariés handicapés chez qui ils étudient la transmission de savoirs professionnels. La prise en compte de sujets différents dans une relation de formation inaugure de nouveaux espaces de travail et permet d’ouvrir plus largement le travail collectif au « vivre ensemble ».
La troisième et dernière partie s’intéresse à l’espace de la classe et pose la question du pourquoi chercher ensemble en classe au travers de différents niveaux scolaires, de la petite section de maternelle au secondaire. Différentes réponses émergent au fil des six chapitres : pour répondre à une consigne ou à un besoin ; pour donner du sens à l’erreur, à la langue de scolarisation, à une interprétation littéraire, à un processus de révision de texte, aux objets de l’environne¬ment quotidien, à son activité professionnelle ; ou encore pour se constituer en tant que sujet ap¬prenant et agissant.
Les travaux qui constituent cette partie ont le mérite de montrer que la classe en tant que collectif de recherche n’a rien d’évident : il ne suffit pas que des individus soient dans le même espace pour qu’ils fassent ensemble. Les études proposées nous permettent d’identifier quelques conditions nécessaires (mais pas forcément suffisantes) au travail collectif en classe.
Véronique Miguel-Addisu et Marie Odile Maire-Sandoz pointent le rôle spécifique du professeur en Cours préparatoire dans les interactions pour l’enrôlement des élèves. Les normes langagières co-construites au fil du temps influent sur la progression des élèves en lecture-écriture. La classe pourrait ainsi être vue comme une communauté discursive.
La conception de l’erreur chez les élèves est l’objet d’étude de Nourddine Moumen. L’auteur montre que si l’erreur est le plus souvent connotée de façon moralisatrice et de¬vient inhibitrice, chercher ensemble à partir des erreurs pourrait devenir dans la classe un levier pour la progression de tous.
Cécile Ghienne met au jour, quant à elle, le potentiel heuristique d’un dispositif qui porte les enjeux d’un travail de relecture/réécriture collectif en classe de 6e en cours de français. Ce travail montre très clairement que les fruits d’un travail collectif ont des effets à un niveau individuel.
Pour rester dans le champ de la littéracie, le travail de compréhension et d’interprétation littéraire dans des comités de lecture est étudié finement par Jacques Lecavalier et Suzanne Richard. C’est là un résultat majeur que la mise en relation de la construction de ces espaces matériels et symboliques et de la pertinence de l’intervention des acteurs. Dans ces comités de lecture très ritualisés, la confrontation des propositions favorise clairement les appropriations individuelles de l’œuvre.
Céline Chanoine nous invite ensuite à explorer des espaces matériellement organisés en classe de sciences en maternelle. Il s’agit de favoriser la comparaison entre objets. Ces organisations permettent l’ouverture d’espaces symboliques et transitionnels dans lesquels les jeunes élèves peuvent chercher ensemble en développant un registre de langage explicatif.
Toujours en maternelle, Maria Kreza donne à voir un dispositif de scolarisation d’élèves de moins de 3 ans. Ici le travail collectif concerne le binôme ATSEM/Enseignant et révèle la complexité de cette relation professionnelle entre réajustements, régulations, complémentarité et construction de la place de chacun.
En guise de conclusion, les directrices de l’ouvrage ont le mérite de tenter une synthèse des pistes ouvertes par la question du chercher ensemble. Ces éléments sont autant de catalyseur au prolongement d’une réflexion individuelle et collective commencée ici.
Nous voyons que pour chacun des trois espaces considérés, la question même de la nature de ces espaces est largement démultipliée, qu’il s’agit à chaque fois de bien vouloir identifier les frontières du cadre institutionnel et de l’interroger comme possibilité de s’échapper de la zone de confort au risque de l’enfermement et du repli individuel, et que le plus souvent la question du quoi et comment chercher ensemble relève de l’implicite. Un aspect saillant se dégage de cette lecture : c’est la place de l’écriture, voire de la co-écriture dans le travail collectif, qui semble être une forme de travail emblématique du chercher ensemble.
Pour autant, l’ouvrage n’évacue pas la délicate question des rapports de force et de domination que le collectif exacerbe et celle des contrôles et rétroactions qu’il nécessite, pour laisser la place à chacun dans ce jeu de tensions entre individuel et collectif. Que certains ne s’y retrouvent pas, est-ce une limite ou une condition au travail collectif de ceux et celles qui cherchent ensemble ?
Si l’intention affichée de l’ouvrage est bien celle d’explorer les modalités du chercher ensemble dans différents espaces, c’est finalement, mais implicitement, la question de la circulation des savoirs et des conditions de la construction de significations partagées qui apparaît en creux tout au long des chapitres. Ainsi, « chercher ensemble » relève d’une dimension politique via le partage et la co-construction des connaissances qui nourrit une vision sociale du « travailler ensemble ».
À ce stade, il pourrait sembler opportun de prolonger la lecture par d’autres points de vue qui viendraient enrichir les pistes ici développées.
En effet, concernant la circulation des savoirs (Marlot & Ducrey-Monnier, 2020) les différentes réalités vécues par les acteurs compliquent la construction et le partage de ces connaissances. Il pourrait être intéressant de voir en quoi le concept de circulation, lorsqu’il s’agit de chercher ensemble, se démarque de ceux de traduction et d’importation, voire de médiation ou encore de transposition. S’il s’agit de construire des significations partagées, les travaux de Jaubert, Rebière et Bernié (2004), pointent l’importance de la pla¬ce essentielle du langage dans la médiation de pratiques, de dispositifs et de situations et l’instauration progressive d’une communauté discursive.
Si l’on élargit à la notion de communauté (de pratique) professionnelle, les travaux de Jofredo-Lebrun et al. (2018) nous incitent à voir ces communautés comme « une sorte de clinique anthropologique visant une réduction du dualisme théorie/pratique en valorisant l’étude collective du triptyque savoirs, dispositifs et gestes à l’œuvre dans une situation d’enseignement-apprentissage ».
D’une manière plus générale, cet ouvrage traite de l’amélioration des pratiques de recherche, de formation et de classe, et nous renvoie alors aux travaux de Bryk (2017). Les études présentées ici pourraient participer du mouvement du renouvellement du régime de la preuve en éducation. Sensevy, Santini, Cariou et Quilio (2018) parlent de preuves culturelles-anthropologiques qui permettent « de renouer avec l’un des sens majeurs du mot preuve. […] elles constituent des preuves-exemples, exemples qu’il faut étudier, et sur lesquels il faut enquêter pour qu’ils puissent délivrer les évidences qu’ils contiennent en fonctionnant comme preuve ». Enfin, à plusieurs reprises, certains auteurs de cet ouvrage interrogent la différence entre coopérer et collaborer. L’approche de Laurent (2018) peut contribuer à nous éclairer. Si la collaboration semble définir le travailler ensemble et s’accorder dans l’instant T, la coopération quant à elle renvoie davantage au travailler ensemble et se complémentariser pour nourrir quelque chose qui va au-delà de l’instant T. Si « collaborer » représente le fait de travailler ensemble, « coopérer » renvoie à l’objectif de produire ensemble des connaissances. Donc chercher ensemble, quels que soient les espaces investis, pourrait relever parfois de la collaboration et à d’autres moments de la coopération.
C’est bien la diversité des postures développées autour de la double question du chercher ensemble et du travailler ensemble à la circulation des différents types de savoirs, ainsi que les pistes de réflexion qu’il autorise, qui fait de cet ouvrage un incontournable. Que tous ceux et celles qui ont un urgent besoin de renouveler et élargir le débat autour des logiques de l’engagement collectif en situation de travail s’en emparent.

Corinne MARLOT
Haute École Pédagogique du canton de Vaud (CH)

Bibliographie

S. Bryk A. (2017) « Accélérer la manière dont nous apprenons à améliorer » – Éducation & Didactique 11 (11-29).
https://doi.org/10.4000/educationdi...
Jaubert M., Rebière M. & Bernié J. P.(2004) « Significations et développement : quelles “communauté” ? » – in : C. Moro et al. (dir.) Situations éducatives et significations (85-104). Bruxelles : De Boeck.
Joffredo Le Brun S. J.-L., Morellato M., Sensevy G. & Quilio S. (2018) « Cooperative engineering as a joint action » – European Educational Research Journal 17, 1 (187-208).
Laurent E. (2018) L’impasse collaborative. Pour une véritable économie de la coopération. Paris : Les Liens qui Libèrent.
Marlot C. & Ducrey-Monnier M. (dir.) (2020) La circulation des savoirs de la recherche en didactique(s) entre les espaces de l’enseignement, de la recherche et de la formation – Formation et Pratiques d’Enseignement en Question 26.
https://revuedeshep.ch/pdf/26/26-00...
Sensevy G., Santini J., Cariou D. & Quilio S. (2018) « Preuves fondées sur la pratique, pratiques fondées sur la preuve : distinction et mise en synergie » – Éducation & Didactique 12 (111-125).
https://doi.org/10.4000/educationdi...

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2023 N° 72 (95-122)