Accueil > Numéros parus : sommaires et résumés > 73 « Médiations des savoirs. Regards critiques, approches plurielles » – (...) > Enseigner l’EMC à l’école Former les citoyens de demain Histoire, enjeux (...)

mardi 28 janvier 2020

Enseigner l’EMC à l’école Former les citoyens de demain Histoire, enjeux et apprentissages Falaize Benoît Paris : Retz (2023)

Alors que le Conseil Supérieur des Programmes a été saisi pour proposer de nouveaux programmes pour l’Enseignement Moral et Civique (EMC), qui devraient entrer en vigueur à la rentrée scolaire 2024, et que cet enseignement a déjà connu deux réajustements depuis sa création en 2015, Benoît Falaize, historien spécialiste des questions de citoyenneté à l’école, a livré en septembre 2023 un ouvrage d’une centaine de pages, qui lui est consacré, Enseigner l’EMC à l’école, destiné aux enseignants de l’école primaire notamment et à tous ceux que ces questions préoccupent.
L’auteur définit trois axes de réflexion dès la première de couverture : « Former les citoyens de demain : histoire, enjeux et apprentissages », répartis en six chapitres. Au vu des attentats terroristes perpétrés en France à partir des années 2010, au vu du risque de fragilisation de la démocratie, le propos de l’auteur est d’interroger la transmission de la culture de la démocratie et des valeurs républicaines à l’école et ses modalités didactiques, dans un souci d’efficacité devenu absolument nécessaire, et dont les enseignants sont la cheville ouvrière auprès des élèves.
Un intérêt majeur de l’ouvrage est qu’il permet, en une quarantaine de pages (chapitre I), de s’approprier de manière très précise l’histoire et les filiations de cet enseignement du XIXe au XXIe siècle, depuis ses racines révolutionnaires, appuyées sur deux idées : la séparation du politique et du religieux et la formation du citoyen, portées par Condorcet. Cet enseignement, historiquement tantôt empreint de principes religieux ou s’en libérant, tantôt axé sur la morale, tantôt sur la citoyenneté, selon quel homme on veut former, tantôt placé au cœur des missions de l’école, tantôt éclipsé par les acteurs, fait retour dans l’insti¬tution, en prenant le nom d’« Enseignement moral et civique ».
La démarche de Falaize consiste à mettre le lecteur en situation de se l’approprier, de sa naissance en 2015 à ses enjeux, au travers du parcours de son élaboration par un groupe d’experts sous la direction de Pierre Kahn, de 2012 jusqu’à sa mise en place en 2015 (chapitre II).
L’intérêt de la conception qui y préside, consiste dans sa rupture avec une éducation civique « désincarnée » (Falaize, p. 24). On y propose un enseignement laïque de la morale, plutôt qu’un enseignement d’une « morale laïque » initialement voulu par Vincent Peillon, ministre en 2015, notamment par peur de braquer les enseignants, peu favorables à ce qu’ils interpréteraient comme une morale à enseigner voire à prêcher, les engageant à une posture surannée. C’est ainsi que Falaize montre que les actuels programmes rompent avec les entrées habituelles par notions ou thèmes, comme « le civisme, la citoyenneté, les institutions etc. » (Falaize, p. 26), qu’ils sont rédigés par cycle et selon des entrées par compétences (ibid.). Ils s’accompagnent de la préconisation de démarches pédagogiques considérées comme innovantes, québécoises ou belges, liées historiquement à l’éducation nouvelle, en rupture avec des modes d’enseignement descendants (ibid. p. 29). La mise en activité des élèves est présentée comme une clé de l’appropriation des valeurs et principes humanistes par l’expérience du cœur et de la raison qui en est faite.
C’est pourquoi Falaize consacre un paragraphe « aux origines philosophiques et pédagogiques de l’EMC » (ibid. p. 30), dans lequel il rappelle le renversement que les acteurs des pédagogies nouvelles ont opéré, en substituant à la centralité des savoirs, celle de l’enfant, de ses goûts, de ses idées, de sa psychologie et dont l’EMC se réclame. Un attrait de l’ouvrage est de comporter des documents sous la forme d’encadrés, qui présentent ici des réflexions d’auteurs, là un document officiel. Ici, un court extrait signé Dewey, qui montre quelques éléments de sa conception de la construction des valeurs par l’expérience et l’enquête (ibid. p. 31). Plus loin, un encadré consacré aux principes de l’éducation nouvelle selon Ferrière en 1922 (ibid. p. 32), puis une sélection de quelques-uns des « invariants pédagogiques » de Freinet (ibid. p. 33). Ces acteurs des pédagogies nouvelles engagent un rapport à la citoyenneté et aux apprentissages moins transmissif, dont se réclamerait l’EMC, éloigné de tout « catéchisme républicain » (ibid. p. 34).
Posé comme une clé de voûte de cet enseignement, « l’engagement civique » fait l’objet d’une présentation, référée aux débuts de la IIIe République et de son école, ainsi qu’aux pédagogies nouvelles : « l’école est le lieu de la citoyenneté si et seulement si les élèves s’engagent eux aussi, aux côtés des maîtres, dans les apprentissages et aussi dans la vie sociale de l’école » (ibid. p. 37).
La réflexion se poursuit par l’évocation de difficultés dans la mise en œuvre de cet enseignement (chapitre III), notamment l’écart entre les valeurs portées par l’école, à distance de celles qui sont promues dans la société, de la tentation de faire de l’EMC l’outil politique de lutte contre la radicalité religieuse dans la promotion d’une laïcité intransigeante, la nécessité d’une solide formation des enseignants de nature théorique et didactique. Un développement approfondi formatif porte sur la distinction entre valeur et principe et parvient à démêler, à propos de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la laïcité, si elles sont valeur ou principe. Dans le chapitre IV ce sont les concepts de République et démocratie qui font l’objet d’une explicitation.
Une spécificité des programmes est d’avoir introduit l’appui sur la « sensibilité » (chapitre V), en tant que domaine, tourné vers la « fabrique sensible du citoyen » (ibid. p. 73). Falaize soutient cette démarche en encourageant le travail sur les émotions et les sentiments moraux et civiques au service de la vie en société et du partage d’une humanité universelle. Il donne des pistes didactiques et pédagogiques. Plutôt que l’injonction qui condamne le racisme, préférer une étude de situation, dans laquelle on fait varier les points de vue, celui de la victime et celui des bourreaux : un encadré à propos de Rosa Parks à qui on avait demandé de céder sa place dans un bus. Qu’en pense le chauffeur du bus ? Que ressentent les blancs assis ? Le policier qui l’arrête ? Dilemmes moraux, débats réglés, débats argumentés, messages clairs préconisés dans les programmes, sont décrits par Falaize en tant qu’outils didactiques et pédagogiques qui favorisent l’autonomie de la pensée. L’engagement à l’égard des autres, l’appui sur la coopération dans la classe, en référence aux méthodes actives, pour l’apprentissage de la démocratie, lui paraissent incontournables pour la défense des valeurs et des principes, qui sont les assises de la société française. L’histoire enfin, lui semble un appui fondamental pour apprendre les valeurs humanistes, la fraternité en tête.
L’ouvrage se clôt (chapitre VI) sur la question d’une « nouvelle place des enseignants » (ibid. p. 85) en vue de la transmission des valeurs et des principes de la République, en insistant sur la nécessité de parvenir à faire valoir pour de vrai aux yeux des élèves les valeurs à leur transmettre, bien au-delà de leur simple connaissance. Et « c’est quand l’enseignant incarne les valeurs que les élèves, par imitation ou mimétisme, découvrent la valeur des valeurs » (ibid. p. 88). On attend de l’enseignant d’incarner les valeurs à transmettre, une sincérité des convictions et une éthique, couplée à une empathie et enfin, attitude fondamentale, une bienveillance éducative (ibid.).

Bettina BERTON
CIRELULR 4354
Université de Lille

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2024 N° 73 (275-276)