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vendredi 28 janvier 2000

L’école discrimine-t-elle ? Le cas des descendants de l’immigration nord-africaine Ben Ayed Choukri (Préface d’Agnès van Zanten) Paris : Éditions du Croquant (2023)

Le titre du dernier livre de Choukri Ben Ayed a le mérite d’énoncer clairement le sens du projet – du moins tel que le lecteur pourrait le penser au début de l’ouvrage : celui d’examiner de façon critique l’hypothèse d’une discrimination scolaire d’un groupe social donné, à partir d’un « cas », celui des « descendants de l’immigration nord-africaine » – qui est de fait le cas déjà le plus documenté dans la littérature scientifique en France, en matière de rapport de l’école aux descendants d’immigrés. Le point d’interrogation du titre souligne ce qui semble être au départ l’argument force du projet de l’auteur, de montrer « qu’il n’est pas possible de répondre de façon sûre à la question posée » (p. 17), de savoir si oui ou non l’institution scolaire française discrimine. A priori, donc, on doit ici à Choukri Ben Ayed de prendre au sérieux le débat, ce qui n’est pas si courant dans ce domaine de recherche spécifique. Ce faisant, le sociologue poursuit une réflexion sur la notion spécifique de discrimination, qu’il a formellement entamée il y a une dizaine d’années, en publiant un premier article sur ce sujet dans une revue de travail social , puis une série d’autres, en lien avec son engagement aux côtés d’un collectif de parents d’élèves .
Le livre est organisé en trois grandes parties et douze chapitres. Mais disons d’emblée que le plan et le fil directeur sont parfois déroutants pour le lecteur, surtout concernant les deux premières parties. On y observe en effet des redondances entre certains chapitres ; certaines informations sont éparpillées là où l’on s’attendrait à une discussion d’ensemble (pour l’approche de la littérature, par exemple) ; ou encore, certains titres de chapitres peuvent interroger quant à leur relation au contenu développé. Prenons un seul exemple : dans le sous-chapitre titrant sur « l’ethnicisation de l’espace scolaire : le terreau des discriminations scolaires ? » (pp. 79-81) , on s’attend en bonne logique à un questionnement sur le lien entre des dynamiques de l’ethnicité à l’école et une analyse en termes de discrimination scolaire. Mais on n’y trouve évoquées que les « questions de religiosité à l’école » depuis 1989 et le thème de la mobilisation par les élèves et les parents de catégories ethniques, un choix et une orientation qui ne rendent pas forcément compte de l’état de la littérature sur l’ethnicisation de/dans l’école. Un non lecteur non averti pourrait donc risquer de ressortir de ce sous-chapitre avec l’idée troublante, d’une part, que la notion « d’espace scolaire » ne s’appliquerait qu’à l’action des publics dans l’école, d’autre part, que ce serait les pratiques des publics qui constitueraient « le terreau de la discrimination ». Or, ce n’est visiblement pas ce qui sous-tend l’approche de Choukri Ben Ayed dans la suite de l’ouvrage, mais ici l’organisation du propos peut perturber la réception de la thèse de l’auteur.
La première partie de l’ouvrage vise à cadrer la question sociologique des « relations entre l’école et les descendants de l’immigration nord-africaine », en reprenant, parfois pour les nuancer, une série de constats déjà maintes fois établis – la problématique ayant fait l’objet, dans le champ académique français, de plus d’une dizaine de revues de littérature depuis cinquante ans . L’auteur rappelle notamment : la marginalité, en France, d’une question pourtant ancienne et largement traitée dans d’autres pays ; les problèmes de catégorisation inhérents à l’étude des populations concernées ; des travaux antérieurs souvent organisés par le prisme de l’échec scolaire ; l’énigme sociologique que constitue la cohabitation, sans arrêt renouvelée, entre une série de travaux qui pointent la relative dissolution statistique des critères liés à l’origine migratoire derrière la position socio-économique, et d’autres qui documentent l’expression massive d’un « sentiment de discrimination ».
La seconde partie est dédiée à discuter du concept de discrimination appliqué au champ scolaire, dans un dialogue avec la sociologie des inégalités, mais aussi avec le droit. C’est donc une partie à visée plus théorique, au sein de laquelle l’auteur traite de ce qu’apporte, de son point de vue, la notion de discrimination dans le champ des sciences sociales intéressées à l’école, compte tenu d’évolutions sociales et politiques qui renouvellent les manières d’envisager les problèmes. Dans une recherche d’articulation conceptuelle (plutôt que d’opposition) entre inégalités et discriminations, il propose – de façon tout à fait judicieuse, à mon sens – de « considérer que la discrimination […] peut contribuer à la constitution d’un champ analytique renouvelé pour revisiter des problématiques mises au jour par la sociologie des inégalités scolaires, mais également apporter des connaissances nouvelles pour enrichir la critique de la méritocratie » (p. 152-153).
La troisième partie de l’ouvrage est dédiée plus spécifiquement aux résultats d’une enquête qualitative, par entretiens individuels et focus-group avec des parents, des élèves ou d’autres professionnels concernés par les questions. Cette partie est la plus conséquente, d’abord en volume (la moitié de l’ouvrage), mais également en termes d’argumentation : on y retrouve le sociologue analysant de manière fine et nuancée son matériau. Ce chapitre est de fait un plaidoyer pour une approche qualitativiste de la question des discriminations, dans la mesure où l’analyse de Choukri Ben Ayed illustre que « l’enquête qualitative montre des éléments difficilement perceptibles par l’outil statistique » (p. 288). En particulier, l’enquête confirme que les discriminations vécues se traduisent de façon hétérogène dans les parcours scolaires, et ne s’expriment pas nécessairement en termes d’« échec », de « décrochage » ou encore d’« orientation » vers la voie professionnelle, généralement pris comme indicateurs par les enquêtes statistiques sur les trajectoires et/ou les résultats scolaires. L’enquête confirme également un élément bien connu : les parents et les élèves ont souvent de fortes attentes et une conception sacralisée de l’école, qui les poussent majoritairement à minimiser le racisme et la discrimination éventuellement vécus.
L’ouvrage s’appuie sur une enquête en partie inédite, qui combine une bibliographie, une trentaine d’entretiens (dont une part a été précédemment menée et est ici réemployée – il aurait été intéressant de savoir lesquels), l’exploitation d’une « base vie scolaire d’un établissement ségrégué pour identifier les régimes de sanctions en raison de l’origine migratoire des élèves » (p. 23), et enfin l’analyse des signalements concernant l’école dans la base de données de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) et du Défenseur des Droits (DdD). Toutefois, il faut souligner que plusieurs dimensions de l’enquête présentent ce qui constitue de mon point de vue des fragilités méthodologiques importantes, et plus encore un déficit d’explicitation de la méthode. Ceci est d’autant plus gênant que l’auteur veut en retirer des éléments clés pour son argument principal. C’est surtout le cas des matériaux mobilisés dans les deux premières parties de l’ouvrage, car l’enquête par entretiens qui constitue le matériau de la troisième partie est au contraire méthodologiquement contextualisée et justifiée. Ces enjeux de méthode sont particulièrement illustrés dans les quelques exemples ci-dessous, concernant les sources bibliographiques et casuistiques.
Concernant la recherche documentaire, Choukri Ben Ayed présente en deuxième partie un nuage des mots-clés censé illustrer le « répertoire sémantique et conceptuel associé à la discrimination scolaire », mais le lecteur est en peine de trouver une quelconque indication de source, de corpus et de méthode, de sorte qu’il est difficile de savoir qui parle de quoi et dans quelle arène. Ces données méthodologiques sont pourtant fondamentales pour pouvoir interpréter quoi que ce soit. L’auteur veut pourtant retenir de cette image que le thème de la discrimination est structuré par un « véritable chaos sémantique » (p. 120). La force de la formule interprétative ne compense malheureusement pas le flou de la méthode, qui peine donc à convaincre, par défaut de savoir ce que l’on a réellement sous les yeux.
Autre exemple de ce même problème, peut-être moins anecdotique : l’auteur avance, en s’appuyant sur un tableau synthétique qui présente une recherche d’occurrences de mots-clés sur le portail Cairn, que « le nombre de thématiques relatives à l’ethnicité, à la question ”raciale” ainsi qu’aux discriminations scolaires a considérablement augmenté au cours des dix dernières années » (p. 93). Nous sommes prêt à le suivre, car cela est globalement documenté par ailleurs. Mais le tableau en lui-même n’atteste rien de tel, d’abord parce qu’il n’offre aucune perspective diachronique, alors que le « caractère exponentiel » de l’augmentation dans le temps est ici l’argument. Ensuite, cette recherche bibliographique ne fait l’objet d’aucune précision méthodologique, ce qui est déjà problématique en soi, mais questionne plus encore lorsqu’on voit que l’auteur soutient, à travers cela, l’idée que les thématiques liées à l’ethnicité « dépassent celles plus ”classiques” concernant les inégalités scolaires en raison de l’origine sociale » (ibid.). C’est tout à fait possible, et là encore on serait prêt à suivre l’auteur, mais l’argumentation repose sur la comparaison de masses agglomérées de mots-clés sans que l’on sache précisément ce qui est en réalité additionné et comparé. Or, le tableau donne à penser que pour la question « sociale » n’ont été testées que deux associations de mots-clés (« école et classes sociales », « école et inégalités »), tandis que pour la question « raciale », ce ne sont pas moins de huit. Pourquoi cette asymétrie ? Comment les mots-clés ont-ils été choisis ? Certains se recoupent mais sont néanmoins additionnés ; d’autres mots-clés (« racial », « ethno-racial ») ne reposent apparemment sur aucune association avec « école » (de sorte que les articles concernés portent peut-être sur la discrimination raciale dans la police ?) ; certains mots-clés sont des plus flous (« culture », « inégalités »), sans qu’on puisse avec certitude les associer spécifiquement à la dichotomie social/racial (ne pourrait-on y trouver des articles sur la « culture du viol » ou sur les « inégalités d’apprentissage » en général ?) etc. Enfin, pour ce que l’auteur veut montrer, il peut être discuté la pertinence de privilégier l’occurrence des mots, plutôt que le comptage des articles où au moins l’un des mots apparaît… Tout ceci me semble clairement problématique, et tend à affaiblir l’argumentation de l’ouvrage.
Concernant l’analyse des dossiers de saisine de la HALDE/DdD ayant trait à la discrimination scolaire, là encore la méthodologie n’est pas précisée, et l’usage des données a de quoi questionner. L’auteur présente son travail « davantage [comme] une analyse qualitative que quantitative » (p. 198), mais il ambitionne néanmoins d’argumenter que « le faible nombre de cas traités [seulement 122 en 16 ans] atteste bien qu’empiriquement les discriminations sont beaucoup moins massives que les inégalités » (p. 196) ! Sur la base des données recueillies, Choukri Ben Ayed met à juste titre en évidence une hétérogénéité des situations donnant lieu à saisine : « refus d’inscription […] d’élèves roms », « enseignements séparés d’élèves roms », « refus d’inscription d’élèves comoriens, de Mayotte [sic], guyanais (autochtones) », « discrimination en raison du port du voile », etc. Mais on remarque que la catégorisation effectuée par le sociologue distingue parfois selon les populations-cibles (« roms », « mineurs isolés »…), selon les motifs prohibés (lieu de résidence…), selon le domaine d’action ou le cadre institutionnel concerné (scolarité, cantine, périscolaire), et parfois selon une combinaison de cela (ex : « Discriminations en raison du port du voile (concours), robe longue (examen) », « Discriminations en raison du voile lors des sorties scolaires »). À tout le moins, cette classification n’est pas suffisamment éclairante pour saisir la structure du problème, tel que reflété par les données.
Mais plus avant, on se demande ce qui sous-tend ces choix catégoriels. Le lecteur pense deviner la raison lorsque l’auteur écrit qu’« aucun dossier traité ne concerne des faits de racisme à l’école » (p. 198), puisqu’il semble vouloir démontrer que « les cas de discriminations scolaires en raison des origines sont extrêmement faibles ». Mais l’auteur ne retient pour ce faire, dans cette catégorie, que « le refus du port du voile par les accompagnatrices scolaires, du port du voile lors de la passation d’un examen ou du refus de certaines municipalités de proposer des menus de substitution » (p. 199). D’une part, on peut s’interroger sur les fondements de ce choix qui conduit à voir le traitement d’exception de populations vues comme « roms » ou « comoriens, de Mayotte, guyanais » comme n’ayant a priori rien à voir avec le racisme ; d’autre part, on peut aussi se demander si limiter la question aux seuls cas relatifs au « port du voile », ce n’est pas rabattre la problématique du racisme sur la seule « discrimination religieuse » ou « islamophobie », ce qui serait un peu difficile à justifier…
Ces questions méthodologiques éclairent plus largement des enjeux théoriques, qui sont en réalité au cœur du projet de l’ouvrage de Choukri Ben Ayed, bien que cela ne soit pas toujours clairement énoncé comme tel. Ainsi, le premier chapitre qui titre sur « les élèves descendants de l’immigration nord-africaine : un statut d’extériorité dans l’école républicaine » est-il en fait voué principalement à dénoncer ce que l’auteur veut voir comme une importation des concepts nord-américains, tel celui de « minorités ». Il se conclut en effet ainsi : « ce chapitre a montré l’absence de consensus concernant l’usage de la notion de minorités ethniques en France » (p. 55), alors que cet objectif n’est nullement annoncé précédemment… Bien sûr la discussion des concepts à même de saisir la réalité sociale est cruciale – et l’auteur a raison, à mon sens, de voir dans celui de « minorités » une notion qui présuppose l’altérisation et unifie excessivement un groupe social. Mais il peut sembler troublant que, pour asseoir sa critique, il parte d’emblée sur la piste d’une « référence plus ou moins explicite aux post-colonial studies » (p. 38) (mais de quels travaux parle-t-il ? À quels auteurs fait-il référence ?) et d’une « importation de la notion de “minorités ethniques” en France » (p. 41).
À ce point de la discussion, l’ouvrage ignore totalement le rôle, central dans l’histoire de la sociologie du racisme en France, des travaux de Colette Guillaumin, Véronique de Rudder ou encore Pierre-Jean Simon, sur la construction des statuts sociaux de « majorité/minorité ». Ces auteurs-mêmes auraient pu fournir des arguments critiques importants vis-à-vis de certains usages actuels de ces notions, et ils ne se sont pas privés de mener le fer contre certaines positions théoriques dans le champ des études de la discrimination. Mais le livre part plutôt sur la piste (pourtant largement critiquée comme fumeuse) de l’importation nord-américaine de débats non légitimes en France. Ce thème est malheureusement une « tarte à la crème » du débat politico-médiatico-académique français, ce qui tend à limiter la consistance et la rigueur attendues de la critique.
Ce dispositif critique asymétrique produit trois faits troublants. Le premier est que les critiques des concepts sont appliquées au cas français, mais pas au cas américain, comme si ici la notion de « minorités » devait être critiquée, et là simplement validée ― on le voit par exemple à ce que, parlant de la situation états-unienne, la notion perd subitement ses guillemets. Bien sûr, les notions de « race » ou de « minorités » n’ont pas le même statut juridico-administratif dans les deux pays, mais la critique des concepts sociologiques devrait-elle suivre simplement un découpage nationaliste ?
Le second élément troublant est que, pour étayer son propos, l’auteur prête à certains chercheurs une définition de la notion de « minorités » qui n’est expressément pas celle qu’ils utilisent… En effet, l’auteur s’en tient à poser qu’« à tout prendre, la notion d “minorité” pourrait être appréhendée d’un point de vue arithmétique » (p. 37), et il attribue cette approche à l’enquête Trajectoires et Origines : « c’est dans cette perspective que se situent les chercheurs de l’Ined » (ibid.). Or, le rapport de recherche cité en référence véhicule une conception interactionnelle de la notion (i.e. une minorité n’est pas nécessairement un groupe moins nombreux, mais un groupe social défini à travers un processus sociopolitique de minorisation). De plus, le rapport cité n’emploie pas, contrairement à ce qu’avance l’auteur, la notion de « minorités ethniques » ; il privilégie celles de « minorités visibles » ou de « minorités racialisées ou ethnicisées » – notions tout autant discutées dans le champ de recherche, mais qui ne se confondent pas.
Un troisième élément apparaît troublant : l’asymétrie critique se retrouve concernant la notion même de discrimination. En effet, au début de l’ouvrage, le sociologue, constate, à raison selon moi, que « la notion de discrimination est convoquée pour décrire un nombre considérable de phénomènes : ségrégations inter et intra-établissements, constitution des classes, relations de face-à-face entre élèves et enseignants et entre élèves [sic], stigmatisation des élèves, sélectivité des établissements, propos vexatoires [...] » (p. 17-18), etc. Cela poserait, du point de vue de l’auteur, problème : « Un même concept peut-il raisonnablement recouvrir un ensemble aussi hétérogène de processus éducatifs au risque de s’ériger en théorie totalisante du système éducatif ? » (p. 18). La question mérite d’être posée. Mais, d’une part, ne faudrait-il pas l’appliquer à une grande part des concepts que la sociologie utilise, à commencer par celui d’« inégalités sociales » qui, sous couvert de constat statistique, recouvre d’un voile indistinct un ensemble de mécanismes différenciés ? Ou encore à celui d’« ethnicisation », pour lequel l’auteur constate, sans que cela ne semble cette fois poser apparemment soucis, que « les modalités d’ethnicisation se distribuent selon des formes » très variées (p. 89-90) ? Ainsi, en appliquant ces questions au seul concept de « discrimination », ne risque-t-on pas d’alimenter à la fois une naturalisation des autres concepts, et une « spécification » implicite du débat relatif à la discrimination raciale, comme si nous n’avions pas affaire à des questions générales de sciences sociales ? D’autre part, l’auteur semble lui-même ne pas tenir compte de la critique qu’il a formulée précédemment, puisqu’en exploitant les données qualitatives, il en vient à son tour à lister, « des thèmes très diversifiés que nous avons pu relier à des expériences de racisme ou discriminatoires » (p. 332) : des « vexations banalisées », la « ségrégation scolaire », des « expériences du racisme et de la discrimination », des « mots qui blessent », « des stéréotypes et des préjugés », la « ségrégation intra-établissement », etc. (chap. 10 et 11). On comprend mal ce qui justifie ce changement de pied.
Ainsi, on ressort de la lecture de l’ouvrage avec un sentiment trouble quant au projet effectif de l’auteur. On ne découvre qu’à la toute fin que, sous le titre en forme d’interrogation, le projet était manifestement moins de savoir si l’école discrimine que de qualifier «  comment des mécanismes discriminatoires se produisent […] au sein de l’école » (p. 397, je souligne). En effet, la conclusion est qu’« il serait difficilement démontrable de considérer que l’école discrimine à la façon d’une discrimination systémique, notion à l’égard de laquelle nous avons pris nos distances » (ibid., je souligne). Pourtant, étrangement, la notion de « discrimination systémique » que l’auteur annonce réfuter n’a jamais été définie jusque-là. Les seules occurrences antérieures (au nombre de 4 sur 400 pages…) associent cette notion (par pure imputation, comme je l’ai dit) au concept de « minorités » (p. 40 et 98) et aux «  post-colonial studies qui induisent de fait l’idée d’un régime politique mû par une discrimination systémique à l’endroit des minorités » (p. 38-39). Si l’on a bien compris que l’auteur est en désaccord avec certains cadres théoriques, d’une part le procédé de justification manque selon moi clairement de rigueur, et d’autre part le lecteur sortira de l’ouvrage sans savoir ce que pourrait être la « discrimination systémique »… Sauf en se demandant si la critique repose sur une assimilation entre « systémique » (i.e. un composé hétérogène qui fonctionne néanmoins à la manière d’un système) et « systématique » (i.e. qui a lieu uniformément partout et en tout temps), confusion qui conduit à rabattre le concept sur l’« incarnation d’une forme de racisme d’État » (p. 397). On peut donc se demander en quelle mesure l’incertitude, exprimée dans le titre en forme d’interrogation, tient aux caractéristiques propres du problème qu’il s’agit d’étudier, ou plutôt aux questions de méthode relatives à son étude. Bref, le débat est loin d’être clos.

Fabrice DHUME
UC Louvain

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2024 N° 73 (246-251)