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mardi 19 août 2025

Les enseignants et l’hybridation des savoirs
Présentation – Spirale 76 (octobre 2025)

Sommaire

PRÉSENTATION

Ce nouveau volume thématique de la revue Spirale porte sa focale sur l’enseignant, quel que soit son contexte d’exercice comme acteur de la construction de situations d’apprentissage et de leur conduite en classe ou hors la classe. Le champ d’action et les activités des enseignants se sont en effet transformés pour répondre aux enjeux de notre monde contemporain, aux attentes sociales et aux prescriptions institutionnelles. Développement des TICE, inter et transdisciplinarité, « éducations à » (citoyenneté, environnement, développement durable, santé, risques, altérité, entre autres), démarche d’enquête, uchronie, tâche complexe, notamment, sont autant de nouveaux enjeux, ouvrant à des champs d’intervention élargis et de nouvelles pratiques, qui interrogent le métier d’enseignant (Bernard & Fluckiger, 2019 ; Lange, 2016). En parallèle, ces questionnements sont présents dans les disciplines universitaires de référence qui connaissent également des changements épistémologiques et paradigmatiques importants (Collectif, 2025).
Ce renouvellement des attentes est porteur de changements dans les pratiques. Il questionne chaque enseignant dans ses habitudes de travail et sa posture professionnelle, et la recherche en didactique. En effet, celle-ci peut non seulement contribuer à identifier et caractériser ces changements dans une démarche descriptive et interprétative mais aussi aider à accompagner le renouvellement des pratiques. Dans cette perspective, les chercheurs travaillent avec les enseignants dans le cadre de recherches collaboratives ou de recherches-intervention (Vinatier & Rinaudo, 2015). Ces collaborations croisées proviennent soit d’initiatives portées par les chercheurs soit d’une demande formulée par les équipes de terrain et validée par les institutions éducatives tel le dispositif PILAR.
Ces transformations à l’œuvre portent à la fois sur la formation initiale, continue et continuée, impliquant des enseignants débutants et expérimentés. Elles soulèvent un certain nombre de problématiques et suggèrent des pistes pluridisciplinaires voir interdisciplinaires de travail. Notre réflexion est de nature à questionner un champ très large tant en termes de pratiques que de recherches ; c’est pourquoi les savoirs sont définis comme ensembles de connaissances et de capacités, susceptibles de donner lieu à une hybridation, concept polysémique voire polémique.
À la fois combinaison, hiérarchisation, métissage (Ruby, 2019), l’hybri-dation peut être définie comme un processus d’enchevêtrement de savoirs de référence qui génère de la complexité (Bédouret et al., 2018) et, par-là, crée des passerelles entre les disciplines (Dogan et al., 1991).
Mais ce terme peut aussi renvoyer à l’hybridation des savoirs pédagogiques et des pratiques d’enseignement-apprentissage, plus ou moins instrumentées par les outils numériques, qui engagent à articuler des modalités d’en¬seignement en présence et/ou à distance et, dans ce cadre, à mobiliser des ressources et des activités de natures et d’origines différentes (Peraya, Charlier & Deschryver, 2014). La focale de l’hybridation peut donc permettre d’analyser les reconfigurations à l’œuvre tant au niveau des dispositifs que des curricula et des pratiques d’enseignement et des apprentissages. Parce que cette hybridation offre à la fois aux enseignants un cadre conceptuel et des normes pratiques, les enseignants peuvent choisir de s’en saisir, ou pas, de façon consciente ou inconsciente, à la fois dans leurs activités en classe et au sein de leur école, dans leur établissement scolaire et dans le cadre des partenariats construits avec les acteurs des territoires.
Les contributions réunies dans ce volume témoignent ainsi de ce regard pluriel et de leur ancrage dans les enjeux sociétaux contemporains. L’hybridation des savoirs touche de préférence les questions environnementales, les migrations, l’éducation à la citoyenneté.
Dans premier temps ces travaux prennent en compte le processus d’hybridation comme une mobilisation des savoirs par les enseignants qui mettent en contact des savoirs différents (scientifiques, sociaux, autochtones, médiatiques) et les recombinent. Si la question de la réception et de l’assimilation de ces savoirs hybrides par les élèves et celle du rôle de l’enseignant dans ce processus sont déjà présentes dans les travaux en didactique (Lautier, 1997), le questionnement contemporain centré sur l’activité des élèves, lui, est plus récent.
Plusieurs points d’appui théoriques servent de références aux professeurs. Cette référenciation est-elle toujours une transposition didactique ou adopte-t-elle une logique ascendante ? Dans quelle mesure la transposition didactique (Chevallard & Johsua, 1991) qui renvoie à une transformation des savoirs de référence (dont la nature n’est pas nécessairement scientifique) par étapes depuis la production universitaire vers la classe est-elle questionnée par la possibilité qu’ont désormais les enseignants d’aller chercher des savoirs de référence plus diversifiés ?
Les enseignants ont en effet accès, sans doute plus facilement d’auparavant, à des publications scientifiques pertinentes, dans leur champ disciplinaire ou en dehors de ce cadre, témoignant de la sorte d’une acculturation progressive du corps enseignant à la démarche de recherche, parfois même dans son caractère pluridisciplinaire. Des savoirs autres que scientifiques sont largement mobilisés car ils sont désormais accessibles. Dans les articles de ce numéro, l’hybridation est surtout à la croisée des savoirs à enseigner (plus ou moins références à des savoirs universitaires) et des savoirs d’acteurs.
En premier lieu, les questionnements de la recherche en didactique peuvent porter sur la nature des savoirs mobilisés et sur les formes d’hybridation mises en œuvre dans les différentes activités préparées pour les élèves. Quels liens existent entre l’hybridation et la construction de savoirs hybride d’une part, et les concepts et les pratiques de la pluridisciplinarité et d’interdisciplinarité ? Si l’hybridation est une pratique récente, se pose alors la question des moyens utilisés par l’enseignant pour s’informer et se former. En effet, la multiplication des supports et des sources d’informations et de formation a pu engendrer une culture hybride empirique des enseignants : à partir de quels supports ? De quels médias ? Dans quels instituts de formation ? Comment se fait la circulation des savoirs hybrides entre les sphères de leur production, la formation et le monde scolaire (Crinon & Muller, 2018) ?
En second lieu, une autre question centrale pose la question d’une existence non conscientisée de pratiques hybrides chez les enseignants. En ce cas, en quoi parler d’hybridation est-il susceptible d’éclairer, d’un point de vue didactique, les pratiques et les cultures professionnelles des enseignants ? Et dans quelle mesure la recherche sur l’hybridation en situation d’enseignement peut-elle aider les enseignants dans leurs pratiques ? Ainsi, l’hybridation est au cœur de la confection par les enseignants de nouvelles pratiques et souvent basées sur l’expérience (Leininger-Frézal, 2018) ce qui pose la question de leur positionnement par rapport aux attentes sociétales, aux discours institutionnels et politiques, au regard de la formation à l’esprit critique. Quels curricula mettent en place les enseignants et autour de quelles pratiques (démarche d’enquête, débat, le classique travail sur le dossier documentaire donné ou construit par les élèves, en ligne ou numérique, etc.) ? En quoi les QSV ou QSO, les « éducations à » participent-elles à l’hybridation des curricula ? Quels écarts entre les intentions et les mises en œuvre effectives ?

Un large appel à contributions lancé dans la communauté scientifique francophone a permis de collecter neuf contributions novatrices mettant au cœur des réflexions l’hybridation des pratiques enseignantes.
À l’école primaire, dans le cadre du curriculum prescrit, une évidence se fait jour sous l’angle d’une étude disciplinaire de cette question. La géographie scolaire repose par essence même sur une hybridation qui encourage le renouvellement des pratiques (Bunnik, article 1). Cet aspect est sans doute renforcé par le dispositif spécifique d’enseignement-apprentissage que constitue la sortie de terrain, qu’elle se déploie dans sa forme physique (Dessagne & Piot, article 2), ou dans une version virtuelle (Ekoto & Vergnolle, article 3).
Est aussi visée la dimension citoyenne de la construction des savoirs pluriels et sensoriels, en plus d’une expérience sensible de la géographie à l’école. En complément, en parallèle, l’apport de l’enseignement de l’histoire contemporaine aux interrogations et débats sociétaux actuels intègre une forme d’hybridation des savoirs. La volonté des enseignants d’apporter aux élèves des savoirs en contexte immédiat, qui plus est d’une urgence mise en lumière par l’information en continu apportée par les médias audiovisuels et numériques, repose sur un savoir à construire, étayé par une nouvelle didactique, dite de l’urgence. Les émotions et les réactions des concitoyens, les demandes des élèves, les obligent à penser une nouvelle démarche, reposant sur un recul réflexif de peu d’épaisseur chronologique et une analyse multifactorielle nouvelle, sans adossement à une formation spécifique des professeurs en la matière (Maffre, article 4). L’actualité citoyenne tournée en outre vers l’urgence de la prise de cons-cience des nouvelles conditions climatiques, en se fondant, dans le cas du Togo, sur la mémoire collective d’autres accidents traumatiques (Yemey, Lodonou, Hervé, article 5). Cette transformation, observable voire mesurable par les élèves, oblige l’enseignant à se saisir de l’Éducation au Développement Durable, dans plusieurs contextes éducatifs : les écoles italiennes de la métropole de Turin (Bonnet, article 6), le lycée agricole français (Pouyot, Hervé, Panissal, article 7).
Le constat est fait que cette hybridation a enfin une place importante dans plusieurs formations initiales dispensées à l’Université, alors même que les enseignants ont, eux, développé cette compétence de façon empirique pour répondre à un prescrit ou pour répondre à une actualité citoyenne. Les étudiants la perçoivent dans leurs pratiques numériques (Dumas, Chaker & Simonian, article 8) alors qu’elle est intégrée avec des nuances dans la formation des enseignants en Éducation Physique et Sportive (Terral, article 3) et dans la formation des ingénieurs (Hugo, Saïd-Touhami & Ladage, article 10).

David BEDOURET
Géode
Véronique CASTAGNET-LARS
Framespa
Christine VERGNOLLE-MAINAR
Géode
INSPE Toulouse Occitanie Pyrénées
Université de Toulouse

Bibliographie indicative

Ardoino J. (1988) « Vers la multiréférentialité » – Perspectives de l’Analyse Institutionnelle (247-265).
Artigue M. (2002) « Ingénierie didactique : Quel rôle dans la recherche didactique aujourd’hui ? » – Les Dossiers des Sciences de l’Éducation 8, 1 (5-72).
https://doi.org/10.3406/dsedu.2002.1010
Barthes A., Blanc-Maximin S. & Dorier E. (2019) « Quelles balises curriculaires en éducation à la prospective territoriale durable ? Valeurs d’émancipation et finalités d’implications politiques des jeunes dans les études de cas en géographie » – Éducation et Socialisation 51.
https://doi.org/10.4000/edso.5755
Barthes A. (2024) « Hybridation curriculaire » – in : D. Raulin et J. Lebeaume Les mots-clés des curricula. OPUS — Université Paris Cité.
https://doi.org/10.53480/curricula.c3d69
Barthes A. & Lange J.-M. (2024) « L’éducation au développement durable : Entre internationalisation et effets locaux. Introduction » – Revue Internationale d’Éducation de Sèvres 95 (51-59).
https://doi.org/10.4000/11o8n
Bédouret D., Vergnolle Mainar C., Chalmeau R., Julien M.-P. & Lena J.-Y. (2018) « L’hybridation des savoirs pour travailler (sur) le paysage en éducation au développement durable » – Projets de Paysage 18.
https://doi.org/10.4000/paysage.1034
Bernard F. & Fluckiger C. (2019) « Innovation technologique, innovation pédagogique. Éclairage de recherches empiriques en sciences de l’éducation » – Spirale - Revue de Recherches en Éducation 63 (3-10).
https://doi.org/10.3917/spir.063.0003
Blanchard-Laville C. (2000) « De la co-disciplinarité en sciences de l’éducation » – RFP 132 (55-66).
https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-...
Bonnet S. & Barthes A. (2024) « Généralisation de l’éducation au développement durable et territorialisation des établissements scolaires » – Recherches en Éducation 55.
https://doi.org/10.4000/ree.12479
Collectif (2025) Servitudes et grandeurs des disciplines. Paris : Gallimard.
Chervel A. (1988) « L’histoire des disciplines scolaires, Réflexions sur un domaine de recherche » – Histoire de l’Éducation 38 (59-119).
Chevallard Y. & Johsua M.-A. (1991) La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné, avec un exemple de la transposition didactique. Grenoble : La pensée sauvage.
Cohen-Azria C., Lahanier-Reuter D. & Reuter Y. (2013) Conscience disciplinaire. Les représentations des disciplines à l’école primaire. Rennes : PU de Rennes.
Crinon J. & Muller A. (2018) « Savoirs et normes pour enseigner » – Recherche & Formation 88 (9-16)
https://journals.openedition.org/re...
Darbellay F., Louviot M. & Moody Z. (dir.) (2016) L’interdisciplinarité à l’école ; succès, résistances, diversité. Neuchâtel : éditions Alphil-Presses Universitaires Suisse.
Delage A., Giband D., Mary K. & Nafaa N. (2023) Géographie de l’éducation. Concepts, enjeux et territoires. Malakoff : Armand Colin.
Dogan M. & Pahr E. R.(1991) « Hybridation : la recombinaison de fragments de sciences » – in : M. Dogan et R. Pahre (dir.) L’Innovation dans les sciences sociales (87-104). Paris : PUF.
Elalouf M.-L., Robert A., Belhadjin A. & Bishop M.-F. (dir.) (2012) Les didactiques en question(s). État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation. Bruxelles : De Boeck.
Éthier M.-A. & Lefrançois D. (2021) Mondes profanes. Enseignement, fiction et histoire. Québec : PU de Laval.
Faingold N. (2022) « L’entretien d’explicitation » – in : B. Albero et J. Thievenaz (éds.) Enquêter dans les métiers de l’humain. Traité de méthodologie de la recherche en science de l’éducation et de la formation (234-245). Paris : Éditions Raison et Passions.
Fourez G. (1997) « Qu’entendre par “îlot de rationalité” et par “îlot interdisciplinaire de rationalité” ? » – Aster 25 (217-225).
Gallais A. (2016) « L’hybridation dans le monde végétal » – in : L. Gwiazdzinski (dir.) L’hybridation des mondes (29-36). Seyssinet-Pariset : Élya Éditions.
Jankowski F. & Lewandowski S. (2017) « Apprendre, se positionner, créer : L’hybridation des savoirs au Sud » – Autrepart 82, 2 (3-16).
Lange J.-M. (2016) « Enseigner des savoirs incertains, hybrides et complexes : Quelles mutations professionnelles pour les enseignants ? » – Spirale - Revue de Recherches en Éducation 58 (145-158).
https://doi.org/10.3917/spir.058.0145
Legardez A. & Simonneaux L. (dir.) (2006) L’école à l’épreuve de l’actualité, enseigner les questions vives. Paris : ESF.
Leininger-Frézal C. (2018) « Training primary teachers throught experiential geography » – European Journal of Geography (European Association of Geographers) 9, 2 (37-53).
Léna J.-Y., Chalmeau R., Julien M. P. & Vergnolle-Mainar C. (2022) « L’expérience de la complexité et de l’incertitude par les élèves dans le cadre d’un projet d’EDD à l’école » – Spirale - Revue de Recherches en Éducation 70 (125-137).
https://doi.org/10.3917/spir.070.0125
Lenoir Y. (2020) « L’interdisciplinarité dans l’enseignement primaire : pour des processus d’enseignement-apprentissage intégrateurs » – Tréma 54.
Lombardi L. (2023) « Pourquoi la notion de curriculum et l’approche curriculaire permettent de bâtir et de partager une politique éducative » – Interpellation du Curriculum.
https://curriculum.hypotheses.org/3491
Malet R. (2022) « Repères pour une sémiotique comparative de l’éducation » – Revue d’Éducation Comparée 26 (205-242).
Orange C. (2012) Enseigner les sciences : problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe. Bruxelles : De Bœck.
Peraya D., Charlier B. & Deschryver N. (2014) « Une première approche de l’hybridation. Étudier les dispositifs hybrides de formation. Pourquoi ? Comment ? » – Éducation & Formation 301 (7-13).
Perrenoud P. (1993) « Curriculum : le formel, le réel, le caché » – in : J. Houssaye (dir.) La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui (61-76). Paris : ESF.
Reuter Y. (2007) « La conscience disciplinaire. Présentation d’un concept » – Éducation et Didactique 1-2 (55-71).
https://journals.openedition.org/ed...
Ruby C. (2019) « Hybridation » – in : J. Lévy & M. Lussault (dir.) Dictionnaire de la géographie (519-520). Paris : Belin.
Vinatier I. & Rinaudo J.-L. (dir.) (2015) « Dossier : rencontres entre chercheurs et patriciens : quels enjeux ? » – Carrefour de l’Éducation 39.
Wallenhorst N. & Pierron J.-P. (2019) Éduquer en Anthropocène. Lormont : Le Bord de l’Eau.

Spirale - Revue de Recherches en Éducation – 2025 N° 76 (3-8)