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vendredi 28 janvier 2000

Perspectives curriculaires en éducation scientifique Kalafi Faouzia Rennes : PUR (2023)

« Jamais auparavant l’éducation, la formation, la recherche n’ont été imbriquées, influencées et soumises aussi fortement aux évolutions, parfois rapides, qui touchent aujourd’hui les sciences et la société » (p. 11). C’est ainsi que Faouzia Kalali situe d’emblée son ouvrage. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que l’éducation scientifique à l’École invite à de nouvelles approches, plus globales et interdisciplinaires et que les curriculums se renouvellent. Car, même si ces préoccupations éducatives ne sont pas nouvelles (Hasni & Lebeaume, 2010 ; Fourez et al., 1994 ; Astolfi et al., 1978), elles prennent une grande acuité dans la période actuelle pour répondre aux enjeux contemporains des relations science-société. Faouzia Kalali y consacre ses recherches, conduites depuis plusieurs années, tant sur le plan empirique que théorique. Elle interroge, selon une démarche critique, les conditions de ce renouveau de l’éducation scientifique, ses enjeux contemporains aux niveaux scientifique et politique, ses perspectives curriculaires. L’ouverture et l’intérêt de ses investigations tiennent notamment à la mobilisation qu’elle fait de nombreux travaux français et anglo-saxons sur ce que l’on appelle la scientific literacy. Son ouvrage, précédé d’une préface de Ralph Levinson et ponctué par une postface de Joël Lebeaume, s’organise en trois grandes parties dont nous faisons ressortir certains aspects, sans prétendre épuiser l’empan et la profondeur des réflexions et des discussions qui y sont engagées.
La première partie s’intéresse aux quatre vagues chronologiques de réformes curriculaires (les grands projets curriculaires produits par les scientifiques ; l’apport des recherches en psychologie cognitive ; les réflexions sur les buts de l’éducation scientifique ; l’émergence d’une approche systémique de modélisation des processus d’apprentissage), depuis le milieu du XXe siècle, ainsi que l’émergence des nouveaux régimes de production des savoirs de la technoscience et, à travers ces réformes à l’éducation scientifique, vue comme « l’ensemble des pratiques institutionnelles, curriculaires et pédagogiques » (p. 13). Sur le plan des relations science-société, les évolutions vont d’une « science aux frontières infinies » vers une « science dans la société » et, dans les débats, d’« une culture scientifique élitiste vers une culture plus citoyenne basée sur des modèles participatifs » (p. 25). L’éducation scientifique, structurant des discours autour des sciences et de leurs rapports avec la société, tient ainsi d’enjeux tant culturels qu’économiques. Souvent posée en termes de savoir scientifique valide, elle s’approprie d’autres références ou d’autres questions dans leur dimension scientifique et politique, dans une visée d’émancipation et d’empowerment des sujets, et d’une exigence démocratique pour construire le futur. Il s’agit dès lors de démêler l’intrication du politique et de l’éducatif pour mieux comprendre les choix curriculaires. L’éducation scientifique, lorsque la science est mise en débat (sur l’évolution des vivants par exemple), s’adjoint alors des visées pragmatiques et citoyennes « pour doter les individus de compétences et de savoirs fonctionnels » (p. 50).
La deuxième partie cible les recherches sur les questions socio-scientifiques, questionne leurs fondements épistémologiques, et ce que deviennent les approches disciplinaires dans l’étude de ces questions. Car que visent vraiment ces nouvelles pratiques culturelles et scolaires ? L’émancipation du citoyen ou un meilleur accès à des savoirs savants ? Pour Faouzia Kalali, le passage aux décisions institutionnelles conduit à des prescriptions confuses car « l’éducation du citoyen doit opérer dans une double incertitude : incertitude scientifique et technique (question posée en termes du “comment l’éducation scientifique… ?” ; incertitude pragmatique (“quelle éducation scientifique et pourquoi ?”) » (p. 61). Ainsi le mouvement STS (science-technologie-société), en tant que proposition curriculaire, ne s’impose pas du point de vue politique mais il a cependant ouvert la voie à des recherches participatives, et à des réflexions sur la prise de décisions étayée de connaissances scientifiques adéquates et centrales pour l’action sociale. En didactique, les savoirs quotidiens et les connaissances locales, qui interviennent dans la prise de décision et l’action, peuvent être une référence pour les activités scolaires, en sachant que la traduction des problèmes quotidiens en termes scientifiques et la reconstruction de la réponse scientifique à l’échelle de la vie quotidienne ne vont pas de soi.
Dans le champ pluriel de l’éducation scientifique, et au regard de la double incertitude dans laquelle se placent les injonctions, Faouzia Kalali organise les recherches sur l’éducation scientifique selon trois approches : socioconstructiviste, évaluative, pragmatique. Dans le sillage de travaux proposant que, dans l’éducation scientifique, « faire comprendre à de futurs citoyens dans une société démocratique que les relations entre science, technologie et société sont aussi pertinentes que de leur faire comprendre des concepts et des processus de la science » (p. 64), elle porte à nouveau attention au mouvement STS, mais aussi à la cognition située. D’abord centré sur les sciences, ce mouvement privilégie l’action des sciences sur la société, avant de passer à une réciprocité des actions entre sciences et société. Quant au paradigme de la cognition située, son intérêt réside dans ce qu’il reconnaît aux sujets leur rôle d’interprétation des situations dans lesquelles ils se trouvent en interaction avec les autres, et leur capacité d’élaborer leur propre expertise. Le mouvement STS admet la responsabilité sociale de l’ensemble de la population, en tant qu’elle est attentive et informée. Les propositions curriculaires en termes de STS visent donc la démocratisation de la culture scientifique. Ce faisant, l’enseignement des sciences (dont les Sciences de la vie et de la Terre ou SVT) s‘ouvre à la multi-référentialité pour déboucher sur l’action sociale, en même temps que ses frontières disciplinaires évoluent. Les « recherches environnementales » (p. 71) ont déjà exploré les convergences entre connaissances, valeurs et raisonnements. Et « les composantes de cette culture tournée vers l’environnement restent valides pour toutes les autres questions socio-scientifiques » (p. 71). Pour Faouzia Kalali, le traitement de ces questions peut beaucoup apporter à l’éducation scientifique, maintenant que les frontières entre science et société s’atténuent et que les sciences et les pratiques scientifiques et technologiques sont davantage marquées par l’évolution sociale. Ainsi, malgré la difficulté d’établir un consensus, tant le champ est saturé d’idéologies et de désaccords, penser l’éducation scientifique et les décisions curriculaires (le choix des contenus et leur légitimation) requiert nécessairement à la fois des considérations d’ordre épistémologique et politique.
Faouzia Kalali examine aussi, dans le cadre de l’incertitude pragmatique (« pourquoi l’éducation scientifique ? »), les apports des enquêtes internationales (TIMSS, PISA, ROSE). L’étude minutieuse qu’elle en fait montre leur intérêt pour les chercheurs en éducation scientifique et les décideurs politiques. Mais les buts des uns ne sont pas ceux des autres et le risque d’un détournement des résultats des premiers par les seconds est patent.
Faouzia Kalali aborde de même la question de la pertinence qui sert à justifier l’existence de la science dans le curriculum et à la rendre légitime dans le système des disciplines scolaires. En effet rendre les curriculums de sciences pertinents pour les élèves est une façon de promouvoir chez eux une attitude favorable aux sciences et aux scientifiques, ce dont se préoccupe l’éducation scientifique. Cela ouvre vers plusieurs questionnements, en termes de disciplines scolaires, de parties prenantes qui les décident, au regard des missions de l’éducation scientifique.
La troisième partie est consacrée à la perspective contemporaine de l’éducation scientifique, compte tenu de la double incertitude (scientifique et technique ; pragmatique) dans laquelle se situent les recherches. Elle cible la caractérisation des problèmes au niveau curriculaire de la discipline des SVT, autour de la question des ressources naturelles, une question socio-scientifique au carrefour de l’Éducation au développement durable et de l’éducation scientifique. Car la reconstruction ou la reconquête de l’éducation scientifique expose le curriculum à la tension entre les deux visions extrêmes de la science : la vision I d’une science comme matière, axée sur les concepts, les lois et les principes scientifiques ; la vision II d’une science intégrant des préoccupations sociales et pouvant légitimement jouer un rôle dans d’autres affaires humaines. Ajoutons que pour Faouzia Kalali, il n’y a pas d’éducation scientifique « sans appropriation de connaissances à propos et sur les sciences, des façons de faire les sciences, des attitudes-capacités-dispositions vis-à-vis des sciences et des questions qu’elles posent dans notre société » (p. 120). En l’état, au collège et au lycée, la figure de la discipline SVT s’apparente à la vision I. Pour ce qui est de la question des ressources naturelles, Faouzia Kalali ouvre sur la fécondité que pourrait avoir une organisation curriculaire qui rende mieux compte de l’aspect interrelationnel entre science et société et de la mise en jeu de « niveaux curriculaires », ou, mieux encore selon elle, de « registres curriculaires » (p. 129), constituant une progressivité des visées conduisant à l’action pour traiter des questions socio-scientifiques.
Ainsi, pour Faouzia Kalali, la didactique curriculaire est un terrain fécond de problématisation et « l’émergence des questions socio-scientifiques et des problèmes socio-épistémologiques relève d’un véritable défi que constitue l’innovation des contenus en SVT pour élargir vers des possibles » (p. 133). En revenant à l’éducation scientifique du citoyen aujourd’hui, en envisageant une projection vers des formes d’alternatives d’éducation scientifique tenant compte de ce qui est pertinent pour les élèves, et « face à un ensemble de visées des SVT inégalement représentées » elle écrit : « En vue d’apprentissages scientifiques, il est nécessaire de partir du monde de la technoscience comme objet de référence (pratiques technoscientifiques et savoirs incertains) qui permet de sortir de l’ornière des savoirs savants » (p. 135). Voilà qui, partant des approfondissements réalisés dans l’ouvrage, engage vers des discussions et des débats féconds entre chercheurs didacticiens (du curriculum, disciplinaires) dans un monde où les missions de l’École et les questions auxquelles elle s’attelle prennent une dimension sociétale affirmée et où la culture scientifique s’oriente vers une culture de l’action et de la prise de décision.

Denise ORANGE RAVACHOL
Théodile-CIREL
Université de Lille

Bibliographie


Astolfi J.-P., Giordan A., Gohau G., HostV., MartinandJ.-L., Rumelhard G. & Zadounaïsky, G. (1978) Quelle éducation scientifique pour quelle société ? Paris : PUF.
Fourez G. (1994) Alphabétisation scientifique et technique. Essai sur les finalités de l’enseignement des sciences. Bruxelles : De Boeck.
Hasni A. & Lebeaume J. (dir.) (2010) Enjeux contemporains de l’éducation scientifique et technologique. Ottawa : PU d’Ottawa.

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2024 N° 73 (243-245)